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قديم 02-05-10, 03:23 PM   #5

sanaafatine

نجم روايتي

 
الصورة الرمزية sanaafatine

? العضوٌ??? » 106902
?  التسِجيلٌ » Jan 2010
? مشَارَ?اتْي » 5,219
?  نُقآطِيْ » sanaafatine has a reputation beyond reputesanaafatine has a reputation beyond reputesanaafatine has a reputation beyond reputesanaafatine has a reputation beyond reputesanaafatine has a reputation beyond reputesanaafatine has a reputation beyond reputesanaafatine has a reputation beyond reputesanaafatine has a reputation beyond reputesanaafatine has a reputation beyond reputesanaafatine has a reputation beyond reputesanaafatine has a reputation beyond repute
افتراضي

9.
Elle n'était pas la réincarnation de Katherine. Stefan était arrivé à cette conclusion sur le chemin du retour, dans le calme qui précède l'aube.
Cette certitude avait mis des semaines à s'imposer, à force d'observation. Il avait examiné chaque mouvement d'Elena, chaque détail de sa personne, pour en noter les différences : ses cheveux étaient un peu plus clairs que ceux de Katherine, et ses sourcils légèrement plus foncés -ceux de la Florentine étaient presque argentés.
Surtout, elle la dépassait d'au moins une tête ; elle se déplaçait avec plus de naturel aussi ; d'ailleurs, les filles de cette époque étaient plus à l'aise avec leur corps. Même ses yeux, à la ressemblance frappante, n'avaient pas la même expression. Ceux de Katherine étaient remplis d'un émerveillement enfantin, quand ils n'étaient pas chastement baissés comme ceux d'une jeune fille qui convenais de son siècle. Au contraire, le regard d'Elena plongeait droit dans celui de son interlocuteur, sans ciller ; parfois même, la détermination ou le défi les faisaient briller d'une lueur farouche. La grâce et la beauté des deux jeunes se valaient Mais Katherine était un chaton blanc, Elena une tigresse des neiges.
Tout à coup, un souvenir s'imposa dans son esprit Il avait beau essayer de s'y soustraire, les images défilaient avec autant de clarté que devant un livre ouvert : il n'avait pas d'autre choix que de lire la page sous ses yeux.
Katherine était tout de blanc vêtue ce jour-là. Elle portait une robe en soie de Venise dont les manches fendues laissaient entrevoir la finesse de la chemise. Un collier d'or et de perles brillait à son cou, et de ravissantes petites boucles assorties pendaient à ses oreilles. Elle était tellement contente de la nouvelle robe commandée par son père qu'elle ne cessait de tournoyer autour de Stefan pour qu'il en admire la légèreté.
- Regarde, elle est même brodée à mes initiales ! C'est papa qui l'a fait faire. Papa...
Elle s'arrêta net.
- Qu'est-ce qui se passe, Stefan ? Tu n'as pas l'air content.
Il ne parvint même pas à sourire : la silhouette évanescente, dans sa robe légère, lui faisait penser à quelque papillon éphémère, susceptible de disparaître un jour. Il ne pouvait imaginer vivre sans elle.
Sa main se referma convulsivement sur le manche de sa dague gravée.
- Katherine, comment pourrais-je être heureux quand...
- Quand?...
- Quand tu regardes Damon de cette façon ?
Il avait enfin dit ce qu'il avait sur le cœur. Il poursuivit péniblement :
- Avant son retour, nous passions tout notre temps ensemble. Mon père et le tien faisaient des projets de mariage. Mais maintenant que l'été s'en va et que les jours raccourcissent, tu passes autant de temps avec Démon qu'avec moi. Si mon père le tolère ici, c'est uniquement à ta demande. Pourquoi as-tu souhaité une pareille chose ? Je pensais que tu tenais à moi.
Le désarroi assombrit les yeux bleus de Katherine.
- Mais je tiens à toi Stefan, tu le sais bien.
- Alors, pourquoi avoir intercédé en faveur de Démon auprès de mon père ? Sans toi, il aurait été renvoyé...
- Ce qui t'aurait fait grand plaisir, petit frère.
La voix calme et arrogante de Démon lui fit tourner la tête. Ses yeux dardés sur lui étincelaient de colère.
- Non, ce n'est pas vrai, dit Catherine. Stefan ne te veut pas de mal.
Damon, grimaçant un sourire, jeta un regard désabusé à Stefan avant de s'approcher de Katherine.
- Mon frère a pour une fois raison sur un point. Les jours sont plus courts, et bientôt, ton père voudra quitter Florence. Et tu partiras avec lui... à moins d'avoir une raison de rester.
À moins d'avoir un mari auprès de qui rester. C'était une telle évidence qu'aucun des trois n'avait eu besoin de le dire. Le baron aimait trop sa fille pour la marier contre son gré : Katherine seule choisirait son époux.
Maintenant que le sujet était abordé, Stefan ne pouvais plus se taire.
- De toute façon, Katherine sait très bien qu'elle devra abandonner son père un jour ou l'autre, et son mariage n'a rien à voir là-dedans..,
Damon ne parut pas surpris de cette déclaration.
- Oui, bien sûr, avant que le brave homme ne commence à avoir des soupçons... Car même le plus aimant des pères finirait par se poser des questions en ne voyant sa fille que le soir venu.
À ces mots, Stefan fut anéanti de colère et de douleur. Ses doutes avaient disparu : Damon savait Katherine avait partagé son secret avec lui.
- Pourquoi t'es-tu confiée à lui, Katherine ? Tu ne vois donc pas qu'il ne recherche que son propre intérêt ? Comment pourrait-il te rendre heureuse alors qu'il ne pense qu'à lui ?
- Et comment ce gamin y parviendrait alors qu'il ne connaît rien du monde qui l'entoure ? rétorqua Damon d'un ton méprisant. Comment te protégerait-il quand il n'a jamais affronté la réalité ? Qu'il reste donc parmi ses livres et ses tableaux ! Tu n'as pas besoin de lui.
Katherine avait l'air désespéré.
- Vous n'avez rien compris ni l'un ni l'autre. Vous pensez que je peux m'établir ici et me marier, comme n'importe quelle dame de Florence... Mais cette perspective est tout simplement impossible: comment tiendrais-je une maison avec des serviteurs pour épier le moindre de mes gestes ? Ils se rendraient compte de mon éternelle jeunesse ! Je ne pourrai jamais avoir une existence normale.
Elle inspira profondément, regarda les deux frères l'un après l'autre avant de reprendre :
- Celui qui choisira d'être mon époux devra renoncer à la lumière du jour. Il vivra dans l'obscurité, avec la lune pour seule clarté.
- Dans ce cas, tu dois choisir un homme qui n'a pas peur des ténèbres.
Damon s'était exprimé avec une intensité qui avait surpris Stefan : c'était la première fois qu'il entendait son frère parler d'un ton si franc, dénué de toute affectation.
- Katherine, reprit-il. Réfléchis bien : crois-tu que Stefan pourrait abandonner sa vie actuelle ? Il est trop attaché à ses amis, à sa famille, et à sa fonction à Florence. Ça le détruirait...
- C'est faux ! s'écria Stefan. Je suis aussi fort que toi : je n'ai peur de rien, le jour comme la nuit. Et j'aime Katherine plus que ma famille et mes amis...
- Tu l'aimes suffisamment pour renoncer à tout ?
- Oui !
Damon affichait un de ces petits sourires en coin qui mettaient ses interlocuteurs mal à l'aise. Il se tourna vers Katherine :
- C'est donc à toi seule que revient le choix : deux prétendants sont disposés à t'épouser ; prendras-tu l'un de nous pour époux ?
Katherine parut réfléchir un instant, puis leva les yeux vers eux :
- Laissez-moi jusqu'à dimanche pour prendre une décision. En attendant, promettez-moi de ne plus en reparler.
- Et dimanche ?
- Dimanche soir, au crépuscule, mon choix sera fait.
Perdu dans ses pensées, Stefan eut l'impression d'être submergé tout entier par le violet profond du crépuscule. Mais lorsqu'il ouvrit les yeux, les premières lueurs de l'aube coloraient le ciel de tons pastels. Il avait atteint l'orée de la forêt sans s'en rendre compte. Non loin de là, il vit se dessiner les silhouettes du pont Wickery et du cimetière : les terribles événements de la nuit lui revinrent en mémoire.
Il avait dit à Damon qu'il était prêt à renoncer à tout pour Katherine, et il n'avait pas manqué à sa parole. Pour elle, il était devenu une créature de la nuit, un prédateur condamné à être traqué continuellement, et à voler le sang des autres. Peut-être même un assassin...
Pourtant non... Ils avaient dit que la fille allait s'en sortir. Mais sa prochaine victime ? Il se rappelait juste l'extrême faiblesse qui l'avait envahi en même temps qu'une soif irrésistible. Ses souvenirs s'arrêtaient après le clocher de l'église qu'il avait franchi en titubant. Ensuite, rien... Lorsqu'il était revenu à lui, il était dehors, l'appel au secours d'Elena résonnant à ses oreilles : il s'était précipité sans plus réfléchir.
L'image de la jeune fille lui apporta une vague de joie si profonde qu'il en oublia tout le reste : il ne pouvait s'empêcher d'admirer cette jeune fille si douce et si forte qui lui faisait penser à un feu couvant sous la glace... ou bien à une dague en argent, dont le tranchant disparaissait presque sous la beauté.
Mais il n'avait pas le droit de l'aimer : ses sentiments pouvaient la mettre en danger, car elle serait exposée à ses pulsions ; il avait peur qu'un jour ses yeux de prédateur la considèrent comme une source de sang chaud susceptible de le rassasier. « Plutôt mourir que de lui faire du mal », se dit-il. Et il se jura de ne jamais lui révéler son secret : elle ne devait pas renoncer à la lumière pour lui.
Le jour était en train de se lever. Il avait tant besoin d'aide ! Si seulement un de ses semblables pouvait lui donner le remède à ses pulsions... Mais c'est en vain qu'il sonda le cimetière à la recherche d'une âme secourable. Tout resta silencieux.
Lorsque Elena ouvrit les yeux, les rayons du soleil filtraient à travers les rideaux de sa chambre : elle devina, d'après leur inclinaison, qu'il était très tard. Elle avait l'impression d'être en convalescence, ou bien le matin de Noël. Elle s'assit sur son lit, et poussa un cri de douleur.
Elle avait mal partout... Mais elle s'en fichait complètement ! Tout ce qui comptait, c'était qu'elle aimait Stefan, et que Stefan l'aimait. Même cet ivrogne de Tyler n'avait plus d'importance.
Elle descendit dans le salon en chemise de nuit pour y retrouver Judith et Margaret.
- Bonjour, dit-elle en embrassant longuement sa tante, qui fut surprise d'une telle effusion.
- Salut, p'tite citrouille, s'exclama-t-elle ensuite en prenant sa sœur dans les bras.
Elle entama avec elle une joyeuse danse autour de la pièce.
- Oh ! Bonjour, Robert.
Elle reposa brusquement Margaret, gênée de sa tenue et du spectacle qu'elle offrait Elle s'éclipsa dans la cuisine, où sa tante la rejoignit, souriante mais les yeux cernés.
- Tu as l'air de bonne humeur, ce matin ! constata Judith.
- Oui, je suis d'excellente humeur !
Et Elena l'embrassa de nouveau, prise de remords devant son visage fatigué trahissant les heures d'inquiétude qu'elle lui avait causées.
- Tu sais qu'il faut que tu ailles au commissariat porter plainte contre Tyler ?
- D'accord, mais je voudrais d'abord voir Vickie. Elle doit se sentir très mal, d'autant plus que personne ne veut la croire.
- Et toi, tu penses qu'elle dit vrai ?
- Oui elle hésita un moment avant de poursuivre. )
- Tu sais tante Judith, il m'est arrivé quelque chose quand j'étais dans l'église. J'ai cru que...
- Elena ! Bonnie et Meredith sont là ! lança Robert depuis l'entrée.
- Ben …Dis-leur de venir dam la cuisine, répondit Elena. Je te raconterai plus tard, ajouta-t-elle à l'intention de sa tante.
Lorsque Bonnie et Meredith apparurent dans l'encadrement de la porte, elles arboraient un air froid, qui mit aussitôt Elena mal à l'aise. Quand sa tante Judith quitta la pièce, elle se racla la gorge en se perdant dans la contemplation du linoléum. En risquant un œil vers ses juges, elle s'aperçut qu'elles en fixaient le même défaut. Elle éclata de rire, et Meredith et Bonnie levèrent leurs yeux à leur tour.
- Je sais que je n'ai pas été très sympa avec vous, dit Elena. Je vous dois des excuses, mais, en même temps, je suis tellement heureuse... Si on oubliait tout ça, et qu'on repartait à zéro ?
- C'est quand même la moindre des choses de nous présenter des excuses! bougonna Bonnie en l'embrassant.
- Ouais... Tu te rends compte que t'es partie avec Tyler Smallwood ? renchérit Meredith.
- Ça m'a donné une bonne leçon..admit Elena.
L'espace d'un instant, le souvenir des événements assombrir son humeur. Mais l'éclat de rire de Bonnie vint le chasser :
- T'as vraiment décroché le gros lot! Stefan Salvatore ! C'est dingue ! Quand je t'ai vue avec lui, j'ai cru que j'avais une hallucination ! Comment il a fait ?
- Rien. Il est juste apparu... disons, un peu comme Zorro...
- Pour défendre ton honneur..., termina Bonnie d'un air rêveur. C'est super romantique...
- Je vous raconterai tout, promis, mais avant je devrais passer chez Vickie. Vous venez avec moi ?
- T'as qu'à tout nous raconter en te préparant. Ça ne nous gêne pas si tu te brosses les dents et que tu te coiffes même temps, affirma Bonnie, qui bouillait d'impatience Et t'as pas intérêt à oublier le moindre détail, ou alors, ce sera le tribunal de l'inquisition direct.
- Comme tu vois, les cours de Tanner ont fini par porter leurs fruits... Bonnie sait maintenant que l'inquisition espagnole n'est pas un groupe de rock, plaisanta Meredith.
Malgré ses traits tirés, la mère de Vickie fit entrer les adolescentes.
- Vickie se repose. Le médecin a ordonné qu'elle garde le lit, expliqua-t-elle avec un sourire triste.
Elle les accompagna jusqu'à la chambre de sa fille et tapa doucement à la porte.
- Vickie, ma chérie, tes amies du lycée sont venues te voir. Ne restez pas trop longtemps, ajouta-t-elle à leur adresse.
La pièce était joliment décorée dans des tons bleu lavande. Vickie reposait contre d'épais oreillers, un édredon remonté jusqu'au menton. Elle avait le teint livide, et les yeux au regard fixe avaient du mal à rester ouverts. Elle était déjà comme ça, hier soir chuchota Bonnie.
Elena s'approcha du lit.
- Vickie dit-elle doucement. Vickie, est-ce que tu m'entends ? C'est moi, Elena Gilbert. Vickie n'eut aucune réaction.
- Ils ont dû lui filer des calmants, dit Meredith.
Pourtant, Mme Bennett n'avait pas parlé de calmants, pensa Elena. Elle prit un air dubitatif, avant de faire une nouvelle tentative.
- Vickie, c'est moi, Elena. Je voulais juste te dire que je te crois, pour hier soir.
Elle ignora le regard interrogateur de Meredith, et continua :
- Et je voulais te demander...
- Nooon !
Vickie était agitée de violents soubresauts, secouant la tête dans tous les sens, les cheveux lui couvrant le visage, et battant l'air des bras.
- Nooon ! Nooon ! hurla-t-elle.
- Faites quelque chose ! s'écria Bonnie. Madame Bennett ! Madame Bennett !
Elena et Meredith tentèrent de maintenir Vickie sur son lit Enfin, sa mère accourut et prit sa fille dans ses bras après avoir repoussé les deux autres.
- Qu'est-ce que vous lui avez fait ?
Vickie, agrippée à celle-ci, parut se calmer un peu. Mais, par-dessus son épaule, elle aperçut Elena de plus en plus belle.
- Toi aussi, tu es l'une des leurs ! s'écria-t-elle diable ! Va-t'en, ne m'approche pas !
Elena était stupéfaite.
- Vickie, je suis juste venue te demander...
- Vous feriez mieux de partir, interrompit Mme Bennett en serrant sa fille contre elle. Laissez-nous tranquilles. Vous ne voyez pas dans quel état vous la mettez ?
Elena sortit de la pièce sans un mot, suivie de Meredith et Bonnie.
- Ça doit être les médicaments, dit Bonnie lorsqu'elles eurent quitté la maison. Elle déraille complètement...
- Tu as senti ses mains ? demanda Meredith à Elena. Quand on a essayé de la calmer, j'en ai attrapée une. Elle était gelée.
Elena, encore sous le choc, avait du mal à admettre les événements. Toute cette histoire était insensée. Mais elle était déterminée à ne pas se laisser gâcher la journée. Elle devait trouver quelque chose qui lui permettrait de retrouver sa bonne humeur.
- Je sais, dit-elle soudain. Je vais aller à la pension.
- Quoi?
- J'ai demandé à Stefan de m'appeler, aujourd'hui, mais on pourrait aller directement chez lui. Ce n'est pas très loin.
- Tu parles, c'est à vingt minutes à pied ! fit remarquer Bonnie. Mais, en même temps, je suis bien curieuse de voir à quoi ressemble sa chambre...
En fait, je pensais que vous pourriez attendre en bas toutes les deux..Comme ses amies lui adressaient un regard lourd de proches, elle ajouta :
- Mais je ne resterai que quelques minutes !
À dire vrai, elle n'avait aucune envie de partager Stefan avec quiconque pour l'instant : elle voulait profiter un peu de leur toute nouvelle intimité.
Mme Flowers leur ouvrit la porte. C'était une petite femme à la peau fripée mais aux yeux noirs étonnamment brillants.
- Tu dois être Elena, devina-t-elle. Je le sais parce que je t'ai vue sortir hier soir avec Stefan, et je lui ai demandé comment tu t'appelais quand il est rentré.
- Vous nous avez vus ? Pas moi, pourtant.
- Non..., confirma-t-elle avec un petit rire. Comme tu es mignonne ! ajouta-t-elle en lui tapotant la joue. Très, très mignonne, vraiment !
- Heu... merci, répondit Elena, un peu mal à l'aise. Est-ce que Stefan est ici ?
- Je crois, oui... À moins qu'il ne soit sorti par le toit...
La logeuse s'esclaffa à nouveau, et Elena l'imita par politesse.
- Nous, on va tenir compagnie à Mme Flowers, suggéra Meredith.
Bonnie leva les yeux au ciel d'un air affligé, retena un sourire, Elena se dirigea vers l'escalier.
« Quelle étrange vieille maison ! » pensa-t-elle tandis qu'elle s'engageait dans le deuxième escalier. Les voix à l'étage inférieur, ne lui parvenaient que dans un murmure. En approchant de la chambre de son petit ami, elle eut la sensation d'avoir pénétré dans un autre monde.
Elle frappa timidement.
- Stefan ?
Elle avait beau tendre l'oreille, aucun bruit ne perçait de l'autre côté. Soudain, la porte s'ouvrit toute grande. Elle eut à peine le temps de remarquer le visage fatigué de Stefan. Les bras du jeune homme la serraient déjà convulsivement.
- Elena... Oh, Elena...
Pourtant, lorsqu'il s'écarta, Elena eut exactement la même impression que la veille : le fossé entre eux se trouvait toujours là. Plus que jamais déterminée à le faire disparaître, elle l'attira aussitôt vers lui pour l'embrasser. Pendant quelques instants, il ne réagit pas. Puis, une sorte de tremblement le parcourut, et un baiser passionné répondit enfin à son étreinte. Ses doigts se perdirent dans les cheveux d'Elena, et elle sentit l'univers basculer à nouveau autour d'eux. Plus rien n'existait en dehors de Stefan, de ses bras autour d'elle, et du feu de ses baisers sur sa bouche.
Une éternité sembla s'écouler avant que leur étreinte prît fin, les laissant frissonnants. Les yeux dans ceux de Stefan, Elena remarqua à quel point ses pupilles étaient dilatées. Il semblait sur le point de s'évanouir et ses lèvres étaient enflées.
- Il faudra qu'on se maîtrise, la prochaine fois qu'on s'embrassera...
Il faisait visiblement un effort pour contrôler sa voix chevrotante. Elena approuva d'un hochement de tête : elle aussi se sentait faible. « Ça ne doit pas nous arriver en public, pensa-t-elle. D'ailleurs, on aurait dû éviter de s'embrasser alors que Bonnie et Meredith attendent en il| Mais il ne faudrait pas non plus qu'on soit complètement seuls, à moins que... »
- Ça ne t'empêche pas de me prendre contre toi, dit-elle.
C'était incroyable qu'après ce moment d'intense passion, elle soit si apaisée dans ses bras. Elle avait enfoui son visage dans le creux de son épaule. Il je t'aime, murmura-t-elle, profondément émue.
- Elena..., gémit-il.
- Il n'y a pas de mal à ça... Et toi, tu m'aimes ?
- Je...
Il la regardait, désemparé, lorsque la voix de Mme Flowers retentit :
- Stefan, mon garçon ! Stefan !
On aurait dit qu'elle tapait du pied sur la rampe. Stefan soupira.
- Je ferais mieux d'aller voir.
Et il s'éclipsa, le visage de nouveau impénétrable. Restée seule, Elena se rendit compte qu'elle était transie de froid. « Il devrait faire du feu », pensa-t-elle. Elle se mit alors à examiner les détails de la pièce, et son regard s'arrêta sur le petit coffret qu'elle avait remarqué la veille, sur la commode en acajou. Elle jeta un œil à la porte fermée. Il pouvait remonter à tout moment et la surprendre... Et puis ça ne se faisait pas, de fouiller dans les affaires des autres. « Pense aux femmes de Barbe- Bleue, se dit-elle. Leur curiosité les a tuées. » Mais elle avait déjà la main sur le couvercle. Le cœur battant, elle l'ouvrit.
Dans la pénombre, à première vue, la boîte lui parut vide. Elle laissa échapper un petit rire nerveux. « Je suis bête ! pensa-t-elle. À quoi je m'attendais ? À des lettres d'amour de Caroline ? Ou à une dague ensanglantée, pendant qu'on y est ! » C'est alors qu'elle vit le ruban de soie, soigneusement plié dans un coin. Elle le fit glisser entre ses doigts. C'était celui qu'elle avait laissé dans le cimetière, le lendemain de la rentrée.
Elle était bouleversée. Il l'aimait donc depuis si longtemps ? « Oh, Stefan, je t'adore, pensa-t-elle. Ce n'est pas grave si tu n'arrives pas à me le dire. »
Elle entendit un bruit et remit précipitamment le ruban dans le coffret. « Je ne t'en veux pas, continua-t-elle. Je le dirai pour nous deux ! Et, un jour, tu verras, toi aussi tu goûteras au bonheur de prononcer ces mots-là... »



10.
7 octobre, vers 8 heures
J'écris pendant le cours de maths, j'espère que Mme Halpern ne me verra pas. Je voulais le faire hier soir; mais je n'ai pas eu le temps. Il s'est passé tellement de choses incroyables, une nouvelle fois ! Encore aujourd'hui, j'ai l'impression d'avoir rêvé tout le week-end... et d'avoir carrément cauchemardé à certains moments.
J'ai décidé de ne pas porter plainte contre Tyler. De toute façon, il a été viré temporairement du lycée et de l'équipe de foot. Dick aussi, officiellement pour s'être soûlé à la soirée. À mon avis, c'est plutôt parce que tout le monde le tient responsable de ce qui est arrivé à Vickie. La sœur de Bonnie a vu Tyler à l'hôpital : il a deux coquards sur le visage cou. J'appréhende le jour où ils reviendront en cours, tous les deux. Ils ont de bonnes raisons d'en vouloir à Stefan, maintenant.
Stefan... En me réveillant ce matin, j'ai été prise de panique : et si je m'étais imaginé toute notre histoire ? Ou s'il avait changé d'avis ? Je n'ai rien pu avaler au petit déjeuner et j'ai bien vu que tante Judith s'inquiétait. Quand je suis arrivée au lycée, il était dans le couloir : on s'est regardés, et là, j'ai su, à son petit sourire, que je n 'avais pas rêvé. Mais j'ai réalisé qu'il faut rester discrets devant les autres et se voir dans l'intimité, si on ne veut pas que notre passion provoque une émeute... Nous sortons ensemble, je n'ai plus aucun doute là-dessus. Maintenant, il faut queje trouve un moyen d'expliquer ça à Jean-Claude. Ha, ha, ha!
Ce que je ne comprends pas, c'est que Stefan a toujours l'air un peu triste. Pourtant, quand on est tous les deux, j'ai l'impression de savoir exactement ce qu'il éprouve : à quel point il me veut, et combien je compte pour lui. Quand il m'embrasse, je sens un désir presque désespéré en lui, comme s'il essayait de boire mon âme. C'est comme si
7 octobre, vers 2 heures de l'après-midi
Bon, la pause a été forcée, vu que Mme Halpern m'a chopée. Elle a commencé à lire à haute voix, mais quand elle est arrivée à Stefan, elle est devenue rouge de colère, et elle s'est arrêtée en plein milieu. Mais moi, je suis trop heureuse pour m occuper de trucs aussi débiles que la géométrie.
On a déjeuné ensemble, Stefan et moi, ou plutôt, on est allés s'asseoir dans un coin du terrain de foot. J'avais apporté un sandwich, mais pas lui ; de toute façon, on 0 rien avalé ni l'un ni l'autre. On était trop occupés à se parler, et à se regarder; Mais il a évité de me toucher, même si on en mourrait d'envie tous les deux... C'est la première fois que je ressens une attirance aussi intense pour quelqu'un.
C'est ce genre de trucs que je ne comprends pas chez lui : pourquoi lutte-t-il contre ce désir alors que ses sentiments pour moi sont évidents. Le ruban orange que j'ai retrouvé dans sa chambre en est la preuve. Je ne lui en ai pas parlé parce qu'il doit vouloir garder ça pour lui.
J'en connais une autre qui est furieuse... Caroline ! Apparemment, elle essayait tous les jours d'attirer Stefan dans le labo photo. Ce matin, ne le voyant nulle part, elle est partie à sa recherche. Et elle a finit par nous trouver... Pauvre Stefan ! Il avait complètement oublié son existence : il était tout embarrassé devant elle... Lorsqu'elle est partie - soit dit en passant, elle devrait éviter de s'habiller en vert, ça ne lui va pas du tout -, il m'a raconté qu'elle n'avait pas arrêté de le coller depuis le début. Elle était venue le voir en lui disant : f J'ai remarqué que tu ne déjeunes pas le midi. Vu que moi non plus, à cause de mon régime, on pourrait se tenir compagnie... » Il n'a pas vraiment balancé de méchancetés sur elle, sans doute à cause de ses bonnes manières de gentleman, mais Il m'a bien précisé n'y avait jamais rien eu entre eux. Je crois que Caroline a très mal digéré cette histoire ! Pour ma part, j'aurais préféré qu'on me chasse à coups de cailloux plutôt qu'on m'oublie...
Quand même, je me demande pourquoi il ne déjeune jamais. Pour un footballeur, c'est plutôt bizarre.
Houla, j'ai eu chaud ! Tanner s'étant dangereusement approché de moi, j'ai dû planquer mon journal sous mon bouquin. Bannie ricane derrière son livre d'histoire : je vois ses épaules bouger. Et Stefan, juste devant moi, a l'air aussi tendu qu'un chat s'apprêtant à bondir... Quant à Matt, il m'observe avec des airs de dire : « Non, mais, t'es devenue dingue ? », et Caroline rumine en me fixant d'un œil bovin. Moi, je regarde Tanner droit dans les yeux, de mon air innocent, sans cesser de noircir mon journal, ce qui expliquera pourquoi mon écriture est à peine lisible.
En fait, j'ai complètement changé depuis un mois : je n'arrive plus à me concentrer sur d'autres trucs que Stefan. Pourtant, j'ai plein de choses à faire : je suis par exemple chargée de la déco de la Maison Hantée pour Halloween, et je n'ai même pas commencé. Il ne me reste plus que trois semaines et demie pour le faire, mais je n'ai qu'une envie : passer du temps avec Stefan.
Je pourrais tout abandonner, évidemment, mais ça serait pas sympa pour Meredith et Bonnie. Et puis je repense tout le temps à ce que Matt m'a dit : « Ce que ¡g veux, c'est que tout le monde tourne autour d'Elena Gilbert. » Peut-être que, finalement, c'est la vérité... Dans ce cas, je vais tout faire pour changer: Maintenant, je dois être à la hauteur de Stefan. Je sais, ça a l'air débile d'écrire ça, mais c'est vrai : j'ai envie de le mériter. Lui ne laisserait pas tomber l'équipe de foot parce que ça m'arrange... Et moi, je souhaite qu'il soit fier de moi. Je veux qu'il m'aime autant que je l'aime.
- Grouille-toi ! lança Bonnie depuis la porte du gymnase.
M.Shelby, le concierge du lycée, attendait à côté d'elle. Elena jeta un dernier regard au terrain de foot, et, à contrecœur, rejoignit son amie.
- Je voulais juste dire à Stefan où j'allais.
Ils sortaient ensemble depuis une semaine, et ça lui faisait encore tout drôle de se dire que c'était lui son petit ami. Il était passé la voir tous les soirs, à la tombée de la nuit, les mains dans les poches et le col de sa veste remonté. Ils allaient faire un petit tour, ou bien discutaient à l'abri de la véranda. C'était une façon pour lui de s'assurer qu'ils n'étaient jamais complètement seuls. « Il veut sauvegarder ma réputation », se disait ironiquement Elena, avec une pointe d'amertume : elle savait, au fond, qu'il y avait autre chose.
- Il peut quand même se passer de toi une soirée, s'agaça Bonnie. Si tu vas lui parler, ça va durer des plombes, et moi, j'aimerais bien rentrer pour l'heure du dîner, si ça ne te fait rien !
- Bonjour; monsieur Shelby, dit Elena au qui attendait patiemment
Elle fut même surprise de le voir lui adresser un clin d'œil.
- Où est Meredith ? reprit-elle.
- Ici, répondit une voix derrière elle. Son amie apparut, un carton plein de dossiers dans ses bras, en ajoutant :
- Je me suis servie dans ton casier.
- Bon, tout le monde est là ? demanda M. Shelby très bien. Dans ce cas, mesdemoiselles, n'oubliez pas de fermer la porte à clé, c'est entendu ? Comme ça, vous serez tranquilles.
- Vous êtes sûr qu'il n'y a personne à l'intérieur ?S'inquiéta Bonnie.
Elena la poussa doucement pour la faire avancer.
- Je croyais que tu ne voulais pas rentrer trop tard.
- Le gymnase est vide, affirma M. Shelby. Si vous avez besoin de quelque chose, criez, je ne serai pas loin.
La porte se referma derrière elles avec un grincement qu'Elena trouva sinistre.
- Au travail, soupira Meredith en posant le carton parterre.
Elena examina la salle. Chaque année, une réunion d'élèves imaginaient les pièces d'une maison hantée pour récolter de l'argent. Depuis deux ans, Elena présidait la décoration avec Bonnie et Meredith : les décisions qu'elle devait prendre étaient capitales pour la réussite de l'ensemble du projet.
C'était une tâche d'autant plus dure qu'elle ne pouvait pas se baser sur le travail des années précédentes. En effet, pour la première fois, la maison hantée devait être installée dans le gymnase, non dans un entrepôt de bois, comme avant.
Elena devait donc repenser tout l'agencement de l'espace. Trois semaines lui paraissaient un délai vraiment juste.
- Je trouve cet endroit flippant, déclara Meredith.
Elena partageait son impression : elle trouvait plutôt angoissant d'être enfermée à double tour dans ce vaste lieu.
- Bon, dit-elle, on va commencer à prendre les mesures de la salle.
Elles s'exécutèrent dans un bruit de pas résonnant de part et d'autre de l'immense espace.
- Parfait, dit Elena lorsqu'elles eurent terminé. On passe à la phase suivante.
Elle tenta d'oublier le malaise qui l'avait assaillie dès le premier instant : accompagnée de Bonnie et Meredith, elle ne craignait rien, d'autant plus que l'équipe de foot s'entraînait à deux cents mètres de là.
Elles s'installèrent sur les gradins, stylos et cahiers en main. Elena et Meredith passaient en revue les différents croquis réalisés précédemment, tandis que Bonnie réfléchissait en mordillant son crayon.
- Bon, dit Meredith en traçant un rectangle sur son calepin. Voici le gymnase. Les spectateurs devront entrer par-là. On pourrait mettre le Cadavre Sanguinolent tout au bout... Au fait, qui le fait cette année ?
- Je crois que c'est Lyman, l'entraîneur de foot, répondit Elena. Il était bon, l'année dernière, et puis avec lui, les joueurs de l'équipe font la queue comme tout le monde. Bon, moi je propose qu'on mette la Salle de Torture Médiévale ici, et juste après, la Salle des Morts Vivants...
Elena avait illustré ses explications de griffonnages sur le plan de Meredith.
- Moi, je pense qu'on devrait avoir des druides, intervint Bonnie.
- Des quoi ? demanda Elena.
- Des druiiides ! hurla Bonnie.
- Ça va, je me souviens maintenant, pas la peine de crier. Mais pourquoi ?
- Parce que ce sont eux qui ont inventé Halloween ! Au départ, c'était un jour sacré : ils allumaient de grands feux et dessinaient des figures horribles dans des navets pour éloigner les mauvais esprits. Ils pensaient que c'était le jour où la limite entre le monde des morts et celui des vivants était la plus mince. Et il y avait des sacrifices humains aussi... On pourrait en faire autant avec Lyman ?
- Tiens, c'est pas une mauvaise idée ! dit Meredith.
Le Cadavre Sanguinolent sera le résultat d'un sacrifice. On le mettra sur un autel en pierre, avec un couteau et des flaques de sang tout autour.... Et puis, quand les gens s'approcheront de lui, il se redressa tout d'un coup.
- C'est ça ! Et ils auront tous une crise cardiaque ! dit Elena.
Mais elle fut forcée d'admettre que l'idée était bonne,payante à souhait : c'était exactement ce qu'il leur fallait rien que d'y penser, elle en avait la chair de poule... des flaques de sang produiraient vraiment un effet terrifiant, même si ce ne serait que du jus de tomate, évidement.
Elles entendirent le bruit des douches, dans les vestiaires adjacents, mêlé de voix et de claquements de portes.
- L'entraînement est terminé, murmura Bonnie. Il doit faire nuit dehors.
- Oui, et Zorro est en train de se faire tout beau, dit Meredith en regardant Elena. Tu veux aller jeter un oeil ?
- J'aimerais bien, répondit-elle en riant. Elle ne plaisantait qu'à moitié : à cet instant précis, elle regrettait plus que jamais l'absence de Stefan, car elle était de nouveau prise d'un malaise indéfinissable.
- Vous avez des nouvelles de Vickie ? demanda-t-elle soudain.
- Ben, j'ai entendu dire que ses parents lui faisaient voir un psy.
- Un psy ? Pourquoi ?
- Apparemment... ils pensent qu'elle a eu des hallucinations la nuit où tout ça s'est passé. Et d'après ce qu'on dit, elle n'arrête pas de faire des cauchemars particulièrement horribles.
- Oh..., fit Elena, pensive.
À côté, le calme était presque entièrement revenu. Une porte claqua, puis le silence fut définitif. Des hallucinations et des cauchemars... Sans savoir pourquoi, Elena se rappela le soir où Bonnie leur avait fait si peur, dans le cimetière, en leur signalant une présence inconnue.
- On ferait mieux de s'y remettre, dit enfin Meredith.
Elena s'arracha à ses pensées en acquiesçant
- On.., On pourrait faire un cimetière, proposa Bonnie d'une voix hésitante, comme si elle avait lu dans les pensées d'Elena. Dans la Maison Hantée, je veux dire.
- Non ! Répondit Elena d'un ton catégorique. Ce qu'on a suffit largement.
Elle se replongea en silence dans les croquis. On n'entendit plus que le grattement des crayons sur le papier et le bruit des pages tournées.
- Bon, dit enfin Elena. Il faut prendre de nouvelles mesures pour chaque pièce. Pour ça, on doit descendre derrière les gradins et... Hé, mais qu'est-ce qui se passe ?
Elles étaient plongées dans une semi-obscurité.
- Oh, non..., soupira Meredith.
Les lumières vacillèrent de nouveau, s'éteignirent un instant, et se rallumèrent avec encore moins d'intensité.
- On n'y voit plus rien, se plaignit Elena en scrutant la vague tache blanche qu'était devenue sa feuille sur ses genoux.
- Il doit y avoir un problème avec le groupe électrogène,déclara Meredith. Je vais chercher Mr Shelby.
- Puisque c'est comme ça, on peut pas continuer demain ? Proposa Bonnie
- Demain, c'est samedi, et on était déjà censées finir t semaine dernière..., répondit Elena.
- Je vais chercher M. Shelby, répéta Meredith. T'as qu'à venir avec moi, Bonnie.
- Heu... et si on y allait ensemble ? Suggéra Elena.
- Non, si on sort toutes les trois, et qu'on le trouve pas, on pourra plus rentrer. Allez, viens Bonnie.
- Mais il fait nuit, là-bas !
- Figure-toi qu'il fait nuit partout, à cette heure ! Allez, à deux, on risque rien.
Elle traîna Bonnie jusqu'à la porte puis se retourna.
- Elena, tu ne laisses entrer personne, hein ?
- Comme si c'était la peine de le préciser..., marmonna Elena en les regardant sortir, avant de fermer la parte.
Elles étaient dans de beaux draps, comme aurait dit sa mère. Cherchant une occupation, elle décida de ranger, tant bien que mal dans cette pénombre, crayons et dossiers. Le bruit qu'elle émettait n'arrivait pas à lui faire oublier l'épais silence alentour. Elle était seule dans cet immense espace... et pourtant, elle avait l'étrange sensation que des yeux la fixaient.
Elle sentait une présence, derrière elle. Les paroles du vieil homme lui revinrent en mémoire : «Des yeux dans le noir. » C'était aussi ce qu'avait dit Vickie... Elle fit volte-face et fouilla la pénombre, retenant sa respiration pour essayer de capter un bruit. Mais elle ne vit rien, et n'entendit rien.
Les gradins n'étaient plus qu'une masse inquiétante aux contours imprécis. À l'autre bout du gymnase, elle crut pourtant percevoir un vague brouillard, et se rappela aussitôt les propos de Vickie. Tous ses sens étaient aux aguets, et chaque muscle de son corps tendu à l'extrême. Elle distingua, ou crut distinguer, une sorte de murmure.
- « Mon Dieu, faites que ce soit mon imagination. ».
Elle n'avait plus qu'une idée : quitter cet endroit le plus vite possible. Un danger rôdait, quelque chose de mauvais qui la voulait, elle.
Elle finit par percevoir un mouvement dans l'ombre, et son cri resta bloqué dans sa gorge. La terreur, mais aussi une sorte de force qu'elle n'aurait su expliquer, la paralysaient. Elle regarda s'avancer vers elle, impuissante, une masse sombre. Puis, l'obscurité prit vie et forme et un jeune homme apparut.
- Je suis désolé de vous avoir fait peur !
La voix, agréable, avait un léger accent qu'elle ne sut identifier. Mais le ton employé trahissait l'ironie de son interlocuteur : il n'avait rien de désolé.
Elena poussa un grand soupir de soulagement Ce n'était qu'un garçon, un ancien élève, peut-être, ou l'assistant de M. Shelby. Un type ordinaire, qui semblait s'être bien amusé à lui faire une telle frayeur, comme en témoignait son petit sourire en coin.
Enfin... il n'était pas si banal : il était incroyablement beau, bien qu'un peu pâle, sous la faible lumière. Une masse de cheveux noirs encadrait un visage aux traits d'une extraordinaire finesse, et les pommettes étaient une véritable œuvre d'art. Il était entièrement vêtu de noir, de ses boots jusqu'à son blouson de cuir, en passant par son jean et son pull. Pas étonnant qu'Elena ne l'ait pas distingué dans l'obscurité !
Mais son air content ne tarda pas à exaspérer la jeune fille.
- Comment êtes-vous entré ? Et qu'est-ce que vous faites ici ? Personne n'était censé se trouver dans ce gymnase.
- Je suis entré par la porte, répondit-il du même ton amusé.
- Toutes les portes sont fermées à clé.
Il feignit la surprise, sans perdre son expression joyeuse.
- Ah bon ?
Elena commençait à se sentir de nouveau mal à l'aise.
- Elles étaient censées l'être, en tout cas, répliqua- t-elle d'un ton sec.
Son sourire s'effaça enfin.
- Vous êtes en colère, dit-il gravement. J'ai dit que j'étais désolé de vous avoir fait peur.
- Je n'ai pas eu peur !
Ce type l'énervait au plus haut point, avec son air supérieur qui lui donnait l'impression de n'être qu'une gamine.
- J'ai été surprise, c'est tout, continua-t-elle. Ce qui n'est pas vraiment étonnant, vu que vous étiez tapi dans l'ombre...
- Laquelle est souvent remplie de choses intéressantes..., répliqua-t-il d'un air moqueur.
Il s'était rapproché d'elle, si bien qu'elle distinguait ses yeux : ils étaient d'un noir sans fond où brillait une étrange lueur. Elena se rendit compte qu'elle était en train de le dévisager.
Pourquoi la lumière ne revenait-elle pas ? Elle en avait assez d'attendre ! Tout ce qu'elle voulait, à présent, c'était sortir d'ici. Elle s'écarta de lui, mettant quelques sièges entre eux, et se mit à ranger les derniers dossiers dans le carton. Tant pis pour la déco !
Mais le silence qui suivit accrut son malaise. Le garçon restait immobile à l'observer, sans un mot.
- Vous êtes venu chercher quelqu'un? demanda- t-elle brusquement.
Il la regardait fixement, d'une façon de plus en plus dérangeante. Elle déglutit péniblement. Les yeux sur ses lèvres, il murmura :
- Oh, oui...
- Comment ?
Les joues brûlantes et l'estomac noué, elle en oublia sa question. Si seulement il arrêtait de la fixer de cette manière...
- Oui, je suis venu chercher quelqu'un, répéta-t-il doucement.
Il franchit la distance qui les séparait en quelques pas.
La respiration d'Elena s'accéléra. Il était si proche qu'elle sentait son eau de toilette et le cuir de son blouson. Elle n'arrivait plus à se détourner de ses yeux plongés dans les siens : les pupilles dilatées au point qu'elle ne distinguait plus l'iris, ils ressemblaient à ceux d'un chat dans la nuit. Lentement, il approcha son visage. Les paupières de la jeune fille s'alourdirent, son regard se brouilla, puis sa tête se renversa, et ses lèvres s'entrouvrirent.
Non ! Elle s'arracha juste à temps de son emprise, avec l'impression d'être au bord d'un précipice. « Qu'est-ce qui me prend ? se demanda-t-elle, profondément troublée. J'ai presque laissé cet inconnu m'embrasser... »
Elle réalisa avec effroi qu'elle avait complètement oublié Stefan. Son image revint avec force dans son esprit : elle n'avait jamais eu autant besoin de lui et de la sécurité de ses bras autour d'elle...
Elle tenta de maîtriser l'essoufflement de sa voix.
- Je vais y aller, maintenant, dit-elle. Si vous cherchez quelqu'un, ce n'est certainement pas ici que vous le trouverez.
Il la regardait bizarrement, avec une expression qu'elle parvenait mal à déchiffrer, un mélange d'agacement et d'admiration. Mais il avait autre chose aussi, un air farouche qui était loin de la rassurer. Il attendit qu'elle ait ouvert la porte pour répondre d'une voix sérieuse, où plus aucune trace d'amusement ne perçait :
- Peut-être que j'ai déjà trouvé... Elena.
Lorsqu'elle se retourna, la salle était vide.
11.
Elena s'était précipitée dans le couloir qui menait à la sortie en manquant se cogner aux murs. La lumière revint brusquement, éclairant les casiers familiers autour d'elle. Elle retint un cri de soulagement jamais la clarté ne lui avait tant manqué ! - Elena ! Qu'est-ce que tu fais là ? Meredith et Bonnie, au bout du couloir, venaient à sa rencontre.
- Et vous, où vous étiez passées ? demanda-t-elle en colère.
- C'est qu'on a cherché un bon moment M. Shelby avant de tomber dessus, répondit Meredith. Figure- toi qu'il dormait ! Et on n'arrivait pas à le réveiller... Je te jure que c'est vrai ! ajouta-t-elle devant le regard incrédule d'Elena. C'est seulement quand la lumière est revenue qu'il a ouvert les yeux. Alors, on est partie. Mais toi, qu'est-ce que tu fais là ?
Elena hésita.
- J'en avais marre d'attendre à ne rien faire dit-elle du ton le plus léger qu'elle put. De toute façon,on a assez travaillé pour aujourd'hui.
- Et c'est maintenant que tu le dis ! râla Bonnie
Meredith, elle, observait Elena sans rien dire.
Pendant le week-end et la semaine qui suivirent, Elena se consacra tout entière au projet de la Maison Hantée Elle eut très peu de temps à consacrer à Stefan, qui y manquait terriblement. Tout en travaillant, elle pensait à ce qui le poussait à éviter de se retrouver seul avec elle. Finalement, le mystère entourant Stefan était toujours aussi dense qu'au premier jour. Ainsi, il se débrouillait toujours pour esquiver les questions qu'elle lui posait sur sa famille et sa vie avant Fell's Church. Mais quand elle lui avait demandé si l'Italie ne lui manquait pas, une étincelle avait jailli dans ses yeux verts.
- Comment pourrais-je la regretter alors que je suis là, avec toi ?
Et il avait embrassé Elena d'une façon qui avait balayé toutes ses interrogations. Elle avait alors compris ce que signifiait être profondément heureux. En voyant le visage radieux de Stefan, sa joie avait redoublé.
- Oh, Elena, avait-il murmuré.
Dernièrement, pourtant, ses inquiétudes n'avaient fait que grandir en constatant qu'il l'embrassait de moins en moins.
Ce vendredi-là, Bonnie avait invité Meredith et Elena à passer la nuit chez elle. Le ciel gris laissait présager de la pluie, et il faisait très froid pour la saison. Mais dans les rues, la splendeur des couleurs automnales apportait consolation aux prévisions météo pessimistes : les fables étaient d'un roux flamboyant, et les ginkgos rayonnaient d'un magnifique jaune.
Bonnie leur ouvrit la porte.
- Salut, vous deux ! Tout le monde est déjà parti pour Leesburg ! On a la maison rien que pour nous jusqu'à demain après-midi ! C'est génial, non ?
Alors qu'elle les faisait entrer, Yang-Tsê, le pékinois, lui fila entre les jambes.
- Non, Yang-Tsê ! Reviens ici tout de suite !
Mais le boudin ambulant courait déjà sur la pelouse en direction de l'unique bouleau, au pied duquel il s'arrêta en aboyant.
- Qu'est-ce qui lui arrive encore, à celui-là ?
- On dirait que c'est le corbeau qui lui fait cet effet
À ces mots, Elena fut pétrifiée. Elle s'approcha de l'arbre pour en fouiller du regard le feuillage. Son pressentiment s'avéra exact : il s'agissait bien, pour la troisième fois, du même oiseau. Et peut-être même la quatrième, si elle comptait la forme sombre qui s'était envolée d'un chêne, dans le cimetière.
Tétanisée, elle vit l'œil noir et vif du corbeau la fixer : il avait toujours son regard humain. Il lui sembla avoir déjà vu ces yeux-là quelque part...
Le volatile émit soudain un croassement strident fit bondir les trois filles en arrière. Il remua les ailes pour quitter son perchoir et foncer droit vers elles. Au d moment, il changea de trajectoire, et fondit sur le chien qui aboya de plus belle. Mais l'oiseau ne fit que l'effleurer. Il prit de l'altitude, survola la maison, et disparut dans un des noyers qui se trouvaient derrière.
Les trois amies restèrent un moment stupéfaites, Bonnie et Meredith éclatèrent d'un rire nerveux.
- J'ai cru qu'il allait nous attaquer ! dit Bonnie en attrapant Yang-Tsê, qui jappait toujours.
- Moi aussi..., murmura Elena, qui, elle, n'avait aucune envie de plaisanter.
Une fois à l'intérieur, la soirée prit un tour plus agréable. Assise avec ses amies devant la cheminée, une tasse de chocolat chaud dans les mains, Elena ne pouvait que se sentir bien. La discussion tournant très vite autour de la Maison Hantée, elle se détendit complètement.
- On a bien avancé, finalement ! déclara Meredith. Mais bon, c'est bien beau d'avoir imaginé les costumes des autres, on n'a toujours pas pensé aux nôtres !
- Pour moi, c'est facile, dit Bonnie. Je serai une druidesse : tout ce qu'il me faut, c'est une couronne de feuilles et une aube blanche. Je demanderai à Mary de m'aider : en une soirée, ce sera fait.
- Je crois que je vais opter pour la sorcière, déclara Meredith. Comme ça, j'aurai juste besoin d'une robe noire. Et toi Elena ?
- Ben, j'étais censée garder le secret, mais... tant pis, je vais quand même vous le dire. Ma tante a bien voulu que je demande l'aide d'une couturière pour réaliser la robe de la Renaissance que j'ai trouvée dans un bouquin. Elle est en soie de Venise, bleu givré. Elle est magnifique.
- Magnifique et hors de prix, sans doute, commenta Bonnie.
- Tante Judith a été d'accord pour que j'utilise l'argent laissé par mes parents. J'espère qu'elle plaira à Stefan... je veux lui faire la surprise et ... Enfin, bref, j'espère vraiment qu'il l'aimera.
- Et lui, il se déguise en quoi ?
- À vrai dire, j'en sais rien, répondit Elena. D'ailleurs, Halloween n'a pas l'air de l'enthousiasmer plus que ça.
- De toute façon, je le vois mal caché sous un drap déchiré et couvert de faux sang, admit Meredith. Il est.. comment dire... beaucoup trop digne pour ça.
- J'ai une idée ! s'écria Bonnie. Je vois exactement comment il pourrait se déguiser : comme il a le teint pâle, un accent étranger, et qu'il a toujours l'air un peu en colère, il suffit de lui trouver une redingote, et on aura un comte Dracula plus vrai que nature ! Elena eut un sourire forcé.
- On lui demandera ce qu'il en pense, d'accord ?En parlant de Stefan, intervint Meredith, comment ça va, vous deux?
Elena soupira, et se perdit dans la contemplation de l'âtre.
- Je... je ne sais pas, dit-elle enfin. À des moments c'est génial, et puis, à d'autres...
Bonnie et Meredith échangèrent un regard, puis celle-ci demanda doucement :
- À d'autres... ?
Elena hésita, ne sachant comment exprimer ce qu'elle ressentait. Alors, elle eut une idée.
- Attendez deux secondes, dit-elle en se levant.
Elle grimpa en courant les escaliers jusqu'à la chambre de Bonnie, y prit son journal dans son sac, et redescendit.
- J'ai écrit ça hier soir. C'est plus simple de vous le lire...
Elle ouvrit le cahier, respira profondément et commença la lecture.
17 octobre
Je me sens très mal ce soir. J'ai plus que jamais besoin d'écrire.
Quelque chose cloche entre Stefan et moi. Il y aune très grande tristesse au fond de lui, dont je ne connais pas la cause ; c'est ce silence que j'ai vraiment du mal à accepter. Je ne sais pas quoi faire. Je ne supporte pas l'idée de le perdre, mais s'il n'a pas assez confiance en moi pour me parler de ses problèmes, je ne vois pas comment ça peut marcher entre nous.
Hier, quand j'étais dans ses bras, j'ai sentie sous sa chemise, quelque chose de rond qui pendait à une chaîne. je lui ai demandé si c'était un camaïeu de Caroline. Mais cette question l'a rendu muet, presque mal à l'aise. il avait l'air à des kilomètres de moi, tout à coup et de souffrir horriblement.
Elena interrompit sa lecture et relut pour elle-même les lignes qui suivaient :
J'ai l'impression que quelqu'un lui a fait beaucoup de mal et qu'il ne s'en est jamais vraiment remis. Mais il doit aussi avoir un secret qu'il veut à tout prix garder pour lui, et qu'il a peur que je découvre. Si seulement j'arrivais à savoir de quoi il s'agit, je pourrais lui prouver qu'il peut me faire confiance jusqu'au bout.
- Si seulement je savais..murmura-t-elle.
- Si seulement tu savais quoi ?
Elena sursauta.
- Heu... si seulement je savais ce qui va se passer, dit-elle en refermant son journal. Je veux dire... si c'était possible de connaître l'avenir, et si on me disait qu'on se séparerait, j'en terminerais le plus vite possible. Mais si tout devait s'arranger, je m'inquiéterais moins de ce qui se passe en ce moment. Le plus terrible, c'est de rester dans l'incertitude...
Bonnie se mordit la lèvre, les yeux brillants.
- Tu sais, Elena, moi, je connais un moyen de deviner le futur. Ma grand-mère m'a montré comment savoir avec qui on se mariera. Pour ça, il faut faire un souper muet
- Laisse-moi deviner, c'est encore un vieux truc de druides, commenta Meredith.
- Ça, j'en sais rien. Mais ma grand-mère dit qu'il y en a toujours eu. Et je vous jure que ça marche: ma mère a vu qu'elle se marierait avec mon père, et un mois plus tard, c'est ce qui s'est passé ! C'est pas compliqué, tu sais Et puis, de toute façon, t'as rien à perdre !
Elena regarda ses deux amies l'une après l'autre.
- J'hésite... Tu crois vraiment à ce genre de trucs ?
Bonnie prit un air offensé.
- Tu veux dire que ma mère est une menteuse? Allez... Je te dis que tu risques rien...
- Qu'est-ce qu'il faut faire ? demanda Elena qui commençait à être intriguée, bien qu'un peu inquiète.
- C'est simple. Il faut que tout soit prêt avant les douze coups de minuit...
À 23 h 55, Elena se tenait dans la salle à manger des parents de Bonnie, seule. Elle ne s'était jamais sentie aussi stupide. Dans le jardin, Yang-Tsê aboyait frénétiquement. À l'intérieur, en revanche, seul le tic-tac régulier de l'horloge se faisait entendre. Conformément aux instructions de Bonnie, elle avait disposé, dans le plus grand silence, une assiette, un verre et des couverts sur la table en noyer. Puis, elle avait placé une bougie allumée au centre, avant de se placer derrière l'unique chaise, installée devant l'assiette. Au douzième coup de minuit, elle devait tirer la chaise et inviter son futur époux à s'y asseoir. À ce moment-là, la chandelle s'éteindrait et Elena y verrait une silhouette sur le siège.
Au départ, toute cette mise en scène l'avait un peu Inquiétée : elle n'avait pas envie qu'une quelconque silhouette apparaisse, pas même celle de son futur mari À présent, elle trouvait cela tout simplement ridicule, mais sans danger.
Quand elle entendit l'horloge sonner, elle se redressa malgré elle, et s'agrippa un peu plus au dossier de la chaise, car Bonnie lui avait bien recommandé de ne jamais le lâcher. Elle se demandait encore si elle prononcerait vraiment la formule idiote indiquée par son amie, lorsque le dernier coup retentit.
- Entrez..., dit-elle malgré elle dans la pièce vide, tout en tirant la chaise.
Un vent froid souffla la chandelle. Elle se retourna brusquement, sans lâcher prise. Elle comprit que le courant d'air venait des grandes baies vitrées derrière elle. Elle aurait juré que ces fenêtres étaient fermées !
Quelque chose bougea dans l'obscurité : un frisson de terreur lui parcourut le dos. Elle n'avait plus du tout envie de rire maintenant. Toutes ces idioties étaient en train de tourner au cauchemar. La pénombre, ajoutée au silence le plus total, lui ôtaient tout moyen de savoir d'où viendrait le danger.
- Vous permettez ? dit une voix.
Une flamme s'était allumée dans le noir. L'espace d'un instant, elle pensa que c'était Tyler, car elle crut reconnaître le briquet dont il s'était servi dans l'église. « Mon Dieu, quelle horreur ! » eut-elle le temps de songer en apercevant les mains fines qui tenaient la bougie elle eut un soupir de soulagement : elles n'avaient rien à voir avec les grosses pattes de Tyler, et ressemblaient davantage à celles de Stefan.
Elle leva les yeux.
- Vous ! Qu'est-ce que vous faites là ? Comment êtes-vous entré ?
Les baies vitrées étaient effectivement ouvertes.
- Ça vous arrive souvent de venir chez les gens sans être invité ? demanda-t-elle enfin.
- Vous m'avez vous-même demandé d'entrer.
Sa voix était la même : calme, ironique, et amusée Son sourire ne l'avait pas quitté.
- Et je vous en remercie, ajouta-t-il en s'asseyant sur la chaise.
Elle retira aussitôt ses mains du dossier comme si elle s'était brûlée à son contact
- Mais je ne vous ai rien demandé du tout ! s'écria- t-elle.
Elle ne savait pas si elle devait être gênée ou indignée.
- Qu'est-ce que vous faisiez dans le jardin de Bonnie ? reprit-elle.
À la lumière de la flamme, les cheveux du jeune homme brillaient d'un éclat surnaturel. Il était d'une pâleur extrême, et, pourtant, irrésistiblement beau. Ses yeux se plantèrent dans ceux d'Elena.
- Hélène, ta beauté est pour moi comme ces nefs nicéennes d'autrefois, qui doucement, sur une mer parfumée.
Vous feriez mieux de partir tout de suite.
Elle sentait qu'elle devait immédiatement se soustraire à cette voix, dont la mélodie commençait à lui ôter toute volonté.
- Vous n'avez rien à faire ici, insista-t-elle. Allez-vous-en !
Comme il ne bougeait pas, elle tendit une main vers la bougie avec l'intention de quitter la pièce. Mais, avant qu'elle ait pu la saisir, il lui prit la main : avec une infinie douceur, il la retourna, et y déposa un baiser.
- Non..murmura Elena.
- Venez avec moi.
- Non, s'il vous plaît...
Le sol se déroba sous ses pieds. Elle eut juste le temps de se demander où son interlocuteur voulait l'emmener avant de s'effondrer. Il se leva pour l'empêcher de tomber, encerclant sa taille. La tête de la jeune fille alla malgré elle se poser contre sa poitrine. Alors, de ses doigts froids, il défit le premier bouton de son chemisier, près de la gorge.
- Non, pitié...
- Ça ne sera rien, vous allez voir.
Il écarta son col pour lui dégager le cou, tout en lui soutenant la tête de l'autre main.
- Nooon ! hurla-t-elle.
La conscience du danger lui était apparue si puissamment qu'elle trouva enfin la force de réagir. Elle s'écarta violemment, butant contre la chaise.
- Je vous ai demandé de vous en aller ! Foutez le camp immédiatement !
L'inconnu lui lança un coup d'œil furieux. Mais l'instant d'après, ses traits avaient retrouvé leur calme habituel, et un sourire éclaira même son visage.
- Eh bien, je m'en vais, dit-il enfin. Pour l'instant...
Lorsque les fenêtres se refermèrent derrière lui, elle reprit enfin son souffle, goûtant au silence avec soulagement. Même le tic-tac de l'horloge s'était arrêté. Elle s'apprêtait à en examiner le mécanisme lorsque des exclamations s'élevèrent du jardin. Elle se précipita dans l'entrée, encore un peu faible sur ses jambes, tout en reboutonnant son chemisier. La porte ouverte lui permit d'apercevoir ses deux amies penchées sur quelque chose.
- Qu'est-ce qui se passe ?
Elle les rejoignit en quelques pas, et vit que Bonnie pleurait.
- Il est... mort...
Horrifiée, Elena se courba à son tour sur la forme inerte à ses pieds. C'était son pékinois, couché sur le flanc, raide et les yeux ouverts.
- Oh, ma pauvre...
- Il était vieux, c'est vrai, mais je ne pensais pas qu'il mourrait si subitement ! Quand je pense qu'il était en train d'aboyer il y a à peine quelques minutes...
- Ça ne sert à rien de rester là, dit doucement Meredith. Il faut rentrer.
Elena avait hâte de rejoindre la maison, elle aussi, car elle se méfiait plus que jamais de l'obscurité, à présent, elle réfléchirait à deux fois, désormais, avant d'inviter quiconque à entrer chez elle...
Lorsqu'elle regagna le salon, son journal avait disparu. Stefan fut dérangé par un bruit qui lui fit lever la tête. La biche sur laquelle il était penché profita de cet instant pour tenter de se libérer de sa morsure.
- Allez, va-t'en, murmura Stefan en la relâchant.
Il regarda l'animal se hisser sur ses pattes et disparaître dans les taillis en se disant qu'il avait absorbé suffisamment de sang : la pointe de ses canines était devenue hypersensible, comme à chaque fois qu'il s'abreuvait longuement. Il était toutefois de plus en plus difficile de savoir quand il devait s'arrêter. Depuis le soir où il était entré dans l'église, il n'avait qu'une peur, celle d'éprouver un malaise identique et d'en faire subir les conséquences à quelqu'un d'autre...
En réalité, il vivait surtout dans la hantise de se réveiller un jour, le corps gracile d'Elena dans ses bras, sa gorge délicate percée de deux petits trous rouges, et son cœur au repos pour l'éternité.
Cette soif de sang, à laquelle il était pourtant soumis depuis des siècles, lui posait toujours autant de questions : comment pouvait-il ressentir un si vif plaisir accompagné d'un si profond sentiment d'horreur ? Il s'imposa la réaction qu'aurait un être humain si on lui offrait de boire ce nectar à même un corps chaud, Il serait sans doute profondément dégoûté...
Mais la nuit où lui-même en avait goûté pour la première fois, une telle proposition n'avait pas été formulée. Les années n'avaient effacé aucun détail du moment où Katherine avait permis sa transformation. La jeune fille devait rendre sa décision le lendemain.
Elle était apparue dans sa chambre pendant son sommeil, avec la légèreté d'un fantôme, vêtue d'une fine che mise de lin. Il fut réveillé par sa main blanche écartant les rideaux du lit. Il se dressa sur son séant, mais lorsqu'il vit ses cheveux blond cendré en cascade sur ses épaules et ses yeux bleus remplis d'ombre, l'émerveillement le laissa sans voix. Il ne l'avait jamais vue si belle : son amour pour elle le submergea avec une immense force. Comme il s'apprêtait à parler, tout tremblant d'émotion, elle lui posa ses doigts sur la bouche.
- Chut...
Et quand elle se glissa à ses côtés en faisant craquer le bois du lit, le cœur de Stefan se mit à battre à tout rompre, et le feu lui monta aux joues. Pour la première fois, une femme partageait son lit, et c'était Katherine, dont le visage angélique était penché vers lui. Il l'aimait plus que tout. Il fit un grand effort pour sortir de son état de béatitude.
- Katherine, murmura-t-il. Nous... Je peux attendre,
Tu sais. Je saurai patienter jusqu'à ce que nous soyons prêt. Mon père arrangera tout la semaine prochaine,.. Ce ne sera pas long...
- Chut..répéta-t-elle.
Au contact de sa peau fraîche, il ne put s'empêcher de l'enlacer.
- Ce n'est pas ce que tu penses..., dit-elle en lui caressant la gorge de ses doigts fins.
Alors, il comprit. Réconforté par la douceur de Katherine, il oublia la peur qui l'avait traversé l'espace d'un instant, et se résigna à toutes ses volontés.
- Allonge-toi, mon amour, murmura-t-elle.
Mon amour. Ces mots firent bondir son cœur de joie ; la tête sur l'oreiller, il exposa sa gorge avec obéissance. Les cheveux soyeux de Katherine glissèrent sur son visage, sa bouche vint se coller à son cou, puis ses dents s'y plantèrent La douleur aiguë l'aurait fait crier si son désir de contenter Katherine n'avait été le plus fort. D'ailleurs, la souffrance s'atténua presque aussitôt, laissant place à un grand bien-être : il était tellement heureux de se donner !
Puis, ce fut comme si leurs deux esprits entraient en communion : il partageait la joie que Katherine ressentait en aspirant ce sang chaud et vivifiant ; elle savait à quel point ce cadeau le comblait. Stefan sombra lentement dans une torpeur qui lui ôtait la faculté de penser, l'emportant dans un autre univers...
Lorsqu'il reprit connaissance, il était dans les bras de Katherine, qui le berçait doucement. Elle guida sa bouche vers une petite coupure, dans son cou, tout en lui caressant les cheveux d'un geste encourageant. Il plaqua ses lèvres sur la plaie sans hésiter, et aspira.
Stefan chassa d'un geste méthodique les brindilles accrochées à ses vêtements. Ces souvenirs avaient réveillé son appétit : il n'avait plus la sensation d'être rassasié. Les narines frémissantes, il se remit en chasse, à l'affût de l'odeur musquée du renard.


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